C’est la peinture d’un homme qui marche.
Une peinture en mouvement et une peinture arrêtée.
Comme dans les paradoxes de Zénon, il est toujours possible
de trouver un intervalle de temps si minuscule que la distance
parcourue soit nulle, et de l’ajouter indéfiniment à d’autres
intervalles déjà accumulés.
Il est possible ainsi de marcher sans jamais atteindre aucun terme,
de bouger sans se déplacer, de ramener l’entièreté du monde
à un atome de perception.
C’est comme ça que Marc Limousin concentre son expression.
Le premier atome est noir.
C’est de lui que tout procède.
Il se duplique, se multiplie, dans l’atmosphère rare.
Il se complexifie. Devient couleur rouge ou brune. Or.
Chair d’une prune écrasée autour de son noyau.
C’est tout.
La perception n’en dit pas plus, l’intervalle de temps est trop
court. L’expérience s’arrête ici. De nouveau la toile est blanche.
L’atome noir renaît seul quelque part près du centre. Il remplira
l’espace tout à l’heure. Plus tard. On a le temps. Tout le temps.
Le terme est inaccessible.
Marc travaille sa palette. Une longue préparation, comme une
marche d’approche. Il la libère fugitivement sans la laisser fuser,
préfère briser là son élan, ne lui donne pas le temps de se dilater.
Quelques encres. Nuances du mélange et du repoussé.
Vient le geste de peindre. C’est un fragment de mouvement
dans un grand vide d’immobilité. Un ouvrage de corps à corps,
d’observation, de façonnage. La couleur prend son expansion.
Des forces de gravité pèsent sur la lumière, la penchent,
la couchent dans le lit de la Terre, l’obliquent sur son axe.
La saisissent et parfois la tordent. C’est une escarbille d’univers
qui se dépose sur la toile, encore empreinte de géométrie,
déjà flétrie par le chaos, à la fois contingente et libre.
Et tout est terminé. Dans la durée dépliée de l’oeuvre s’est
incrusté un éclair perceptif, un moment microscopique,
un bout de passé silencieux, isolé, nu de sens.
Marc Limousin est un arpenteur, sillonneur de chemins,
spectateur de la nature. Il a rempli des milliers d’heures
de ces intervalles sans épaisseur, accumulant les perceptions.
Il travaille désormais la nuit, à la recherche de la brièveté,
entre constriction et expansion. Il isole des structures éphémères
dans la cascade continue, assourdissante, des sensations.
Il simplifie, dépouille, épure, réduit au moment le plus court,
et puis calligraphie, on pourrait dire chorégraphie.
Il tamise le temps dans un treillis si fin que le regard s’allège.
C’est un peu comme le figement d’un vol de papillon.
Il est rare, chez lui, que la matière atteigne aux extrémités
de la toile. L’instant sera trop court. Elle reste suspendue,
arrêtée, muette et brute, ne reflétant d’autre fin que la
recherche patiente, asymptotique, d’une vision de la brièveté
prise dans les rets de la couleur.